Miyamotho Musashi (1584-1645)

Célèbre Samuraï, expert du combat au sabre (Ken-jutsu), l'un des plus importants Kenshi que le Japon ait connu et dont les exploits ont inspiré de nombreux récits. Il est l'archétype du héros médiéval nippon.

Shinmen Musashi-no-Kami, Fujiwara-no-Genshin, naquit dans la province de Harima, et eut durant sa rude enfance les prénoms de Bennosuke, Heima ou Takezo. Son entourage l'appelait aussi volontiers "le petit Tengu". Il utilisa tout au long de sa vie les noms de famille de Miyamoto (le plus connu), de Takemura, de Hirata, de Shinmen ou de Hirao tandis qu'à son prénom usuel de Musashi furent parfois accolés des suffixes à résonance plus guerrière, tel Masama ou Masanobu.

Il était le second fils de Munisai Shinmen, lui-même expert au sabre, et qui le laissa orphelin à l'âge de 7 ans (il fut tué lors d'un duel). Receuilli par son oncle maternel, moine, qui l'amena dans son monastère, Musashi mit ce séjour forcé à profit pour s'entraîner au sabre. Il gagna son premier duel à 13 ans, au cours duquel il tua Arima Yoshibe (Kibei). Trois ans plus tard il tua Akiyama, un autre sabreur de renom. A 17 ans il participa sous la bannière de Toyotomi Hideyoshi à la bataille de Sekigahara (1600) pendant laquelle il fut gravement blessé. Seule sa constitution vigoureuse lui permit de récupérer. A partir de 1604 on le trouve à Kyoto, défiant Yoshioka Seijuro, important expert au sabre de la ville. Il le blessa grièvement, ce qui lui valut la haine du clan Yoshioka. Au cours d'un duel célèbre (combat d'Ichijoji), il tua une douzaine de membres du clan. Puis il reprit sa route, remportant défi sur défi, invaincu dans plus de 60 duels (sauf peut-être, face à Muso Gonnosuke, une rencontre diversement rapportée par l'Histoire). Il avait alors 29 ans. C'était en 1612 qu'il tua, dans un dernier combat singulier qui le fera définitivement passer pour une légende, le célèbre bretteur Sasaki Kojiro (Ganryu) du clan Mori, redouté pour son sabre long (o-dachi). La rencontre eut lieu sur la petite île de mukojima et Musashi vint au combat avec pour arme une longue rame en bois avec laquelle il fracassa la crâne de son adversaire surpris par l'allonge inhabituelle de cette arme improvisée. Musashi ne se battit plus jamais, mais on le trouve encore chargé du commandement d'un corps de réserve par Ogasawara, Seigneur de Kokura, lors du siège du château de Hara en 1638.

A partir du début des annèes 1630 Musashi se consacra entièrement à l'étude de la voie (Do), tout en pratiquant calligraphie et peinture, arts dans lesquels il excellait. L'homme acquiert alors une dimension exceptionnelle, Kensei de son vivant, "saint au sabre". En 1643 il se retira dans la montagne, pour mieux méditer dans la grotte Reigendo (temple de Ungan-ji) du Mont Iwato, à l'ouest de Kumamoto. C'est là qu'il rédigea, quelques semaines avant sa mort, en 1645, le texte "Ecrit des cinq roues" (Gorin-no-sho), qui est devenu un classique de la littérature concernant les arts martiaux (Budo), plus encore que son Dokukodo. Il mourut à l'âge de 62 ans et fut, selon sa volonté, enterré revêtu de son armure.

Au cours de sa grande errance en quête de l'efficacité absolue, à l'image de tant de Ronin parcourant le pays pour leur Musha-shugyo, il expérimenta beaucoup et fit émment sa propre synthèse technique. On crédite Musashi de la création du style Ken-jutsu Emmei-ryu, qui prit plus tard le nom de Nito-ryu (Ecole des deux sabres), puis celui de Niten-ryu (Ecole des deux Ciels). "Niten" était aussi un nom de plume parfois utilisé par le peintre et calligraphe qu'il était devenu dans la dernière partie de sa vie. Si l'école a disparu avec Musashi (le Hyoho Niten Ichi-ryu prétend cependant aujourd'hui transmettre la technique de Musashi), il existe cependant encore des Kata à deux sabres transmis par le Ken-jutsu au cours des siècles suivants.

(Texte tiré de l'"Encyclopédie des arts martiaux de l'Extrême-Orient", G. et R. Habersetzer, pages 436-437)

Miyamoto Musashi (1584-1645) : célèbre Samouraï considéré comme un des grands Maîtres de la tradition du bushidô : la Voie des guerriers. Escrimeur, il a créé l’école dite "des deux sabres" : un long et un court. Devenu un personnage légendaire, sa vie aventureuse et ses exploits ont inspiré d’innombrables romans, nouvelles et pièces de théâtre. À l’âge de soixante ans, quelques mois avant sa mort, il se retire dans une grotte pour méditer et rédige à l’intention de ses disciples l’œuvre majeure de sa vie : Traité des Cinq Roues.

le Traité des Cinq Roues

Ce traité porte sur les arts martiaux et plus particulièrement l’escrime. Mais les principes qu’il énonce trouvent aussi à s’appliquer à toutes les activités de nature stratégique, à tous les gestes de la vie quotidienne : "Je comprenais bien, écrit Musashi, comme il est difficile de maintenir une position face aux événements. [...] J’ai appliqué les principes (avantages) de la tactique à tous les domaines des arts. En conséquence, dans aucun domaine je n’ai de maître."

Le Traité des Cinq Roues n’est donc pas seulement un livre de stratégie guerrière ou pour l’action. C’est aussi un guide sur la Voie, qui énonce les principes d’un art de vivre. Livre à la fois d’action et de sagesse, ou plutôt de sagesse dans l’action, il révèle le secret d’une stratégie victorieuse, d’un trajet initiatique qui passe par la maîtrise de soi.

Ce Traité est considéré comme un classique de la littérature universelle. Une traduction française par M. et M. Shibata est parue récemment aux éditions Albin Michel, dans la collection "Spiritualité vivante". C’est dans cette édition que j’emprunte la plupart des passages cités dans le présent essai. Toujours populaire au Japon, le traité de Musashi a fait l’objet d’une édition récente par le Groupement d’études sur la gestion de Tokyo, destinée plus spécialement aux gestionnaires.

"Dans une auberge isolée, un samouraï est installé à dîner, seul à une table. Malgré trois mouches qui tournent autour de lui, il reste d’un calme surprenant. "Trois ronin (guerriers vagabonds, sans maître) entrent à leur tour dans l’auberge. Ils remarquent aussitôt avec envie la magnifique paire de sabres que porte l’homme isolé. Sûrs de leur coup, trois contre un, ils s’assoient à une table voisine et mettent tout en œuvre pour provoquer le samouraï. Celui-ci reste imperturbable, comme s’il n’avait même pas remarqué la présence des trois ronin. Loin de se décourager, les ronin se font de plus en plus railleurs. Tout à coup, en trois gestes rapides, le samouraï attrape les trois mouches qui tournaient autour de lui, et ce, avec les baguettes qu’il tenait à la main. Puis, calmement, il repose les baguettes, parfaitement indifférent au trouble qu’il venait de provoquer parmi les ronin. En effet, non seulement ceux-ci s’étaient tus, mais pris de panique ils n’avaient pas tardé à s’enfuir. Ils venaient de comprendre à temps qu’ils s’étaient attaqués à un homme d’une maîtrise redoutable. Plus tard, ils finirent par apprendre, avec effroi, que celui qui les avait si habilement découragés était le fameux maître : Miyamoto Musashi."

Cette légende illustre un principe capital de la Voie du Samouraï, selon lequel on doit chercher à vaincre sans combattre.

(On s’est inspiré de ce récit pour une scène du film Karate Kid, dans laquelle le maître attrape une mouche avec des baguettes, sous le regard ébahi de son jeune disciple.)

de l’action efficace et de la sagesse

L’enseignement de Musashi se définit à deux niveaux :

de l’action efficace...

Ne nous y trompons pas. Tous les arts martiaux sont d’abord des techniques de défense. Quand on est dans l’action, il faut gagner. Pour le Bushi ou Samouraï, perdre c’est mourir... Mais la question est de savoir comment gagner par une action juste du point de vue de la tactique et de l’attitude. Le guerrier doit, par exemple, "faire perdre à l’adversaire son équilibre mental" ou encore "faire naître une certaine tension nerveuse en empêchant l’adversaire d’être sûr de lui". Musashi souligne même l’importance "de neutraliser l’adversaire directement, sans le laisser souffler, en évitant de croiser son regard". Il ajoute d’ailleurs : "Le plus important est de l’empêcher de pouvoir se restaurer"... À propos de l’importance de savoir se rénover dans l’action, Musashi dit plus loin : "Lorsque, au cours d’un combat qui reste à l’état de mêlée, rien n’avance plus, abandonnez vos idées premières, rénovez-vous en tout et prenez un nouveau rythme. Ainsi découvrez le chemin de la victoire. Chaque fois que vous jugez qu’entre votre adversaire et vous tout grince, changez d’intentions immédiatement et parvenez à la victoire en recherchant d’autres moyens avantageux pour vous."

Ces règles trouvent à s’appliquer aussi dans le monde de l’action en général...

Vaincre, soit! Mais de préférence sans combattre et, dans tous les cas, sans perdre l’honneur.

... et de la sagesse

Musashi se rapproche pourtant davantage de la figure du sage que du technicien des armes. Son enseignement vise d’abord à remporter une victoire sur soi. C’est le sens de sa maxime : "Devenez l’ennemi". Dans son action, le guerrier doit atteindre en lui-même le point où cesse la violence. La maîtrise de soi, enseigne le traité, augmente les chances de maîtriser le monde.

L’intérêt que présente le modèle traditionnel japonais est considérable. Pourtant, l’esprit qui anime les principes de Musashi, visant à l’efficacité dans l’action et à la maîtrise de soi pour atteindre la sagesse, n’est pas étranger à la tradition occidentale. On le trouve aussi dans la tradition gréco-romaine, en particulier chez les Stoïciens, bien qu’il ne s’agisse plus dans ce cas du modèle du guerrier mais plutôt de l’homme en progrès et du philosophe, qui n’en doit pas moins se considérer comme son seul ennemi, c’est-à-dire comme le seul véritable obstacle à vaincre. Épictète revient très souvent sur ce thème. Il dit par exemple:

"Attitude et caractère de l’homme ordinaire: il n’attend rien, en bien ou en mal, de soi-même, et tout des circonstances extérieures. Attitude et caractère du philosophe: il attend tout, en bien comme en mal, de soi-même. Signes distinctifs de l’homme en progrès: il ne blâme personne, ne loue personne, ne reproche rien à personne, n’accuse personne; il ne dit jamais rien qui tende à faire croire qu’il sait quelque chose ou qu’il est quelqu’un. En cas d’échec ou d’obstacle, il ne s’en prend qu’à soi-même. [...] En un mot, le seul ennemi qu’il ait à redouter, c’est lui-même."

les principes fondamentaux, selon Musashi

L’enseignement de Musashi peut se ramener à neuf principes :

  1. Éviter toutes pensées perverses.
  2. Se forger dans la voie en pratiquant soi-même.
  3. Embrasser tous les arts et non se borner à un seul.
  4. Connaître la voie de chaque métier, et non se borner à celui que l’on exerce soi-même.
  5. Savoir distinguer les avantages et les inconvénients de chaque chose.
  6. En toutes choses, s’habituer au jugement intuitif.
  7. Connaître d’instinct ce que l’on ne voit pas.
  8. Prêter attention au moindre détail.
  9. Ne rien faire d’inutile.

Pour approfondir le sens de ces neuf principes, il faut se reporter à différents passages du traité, mais aussi les considérer en fonction de la tradition des arts martiaux et du bouddhisme zen... C’est le périlleux exercice auquel je me suis livré.

J’ai aussi pris la liberté de prolonger ces principes par des commentaires d’inspiration moderne et occidentale. Certains de ces commentaires, qui nous entraînent parfois assez loin de l’énoncé proprement dit, paraîtront même audacieux... Je crois pourtant avoir respecté l’esprit des principes de Musashi.

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