Le shinto, ou « Voie des dieux », est la religion officielle de l’Etat japonais. Très ancienne, on en retrouve les premières traces dans deux écrits très important de la mythologie shinto : le Kojiki (Chronique des choses anciennes) et le Nihon Shoki (Chronique du Japon). Il s’agit d’une religion animiste, basée sur le caractère divin de la Nature et de l’Univers, et ses manifestations sous formes de Kami, les dieux de la cosmogonie shinto. La mythologie shinto décrit l’histoire du Japon à partir d’un âge situé il y a environ quinze mille ans, appelé Kannagara. A cette époque, les hommes étaient conscients de leur nature si proche de celle des dieux ; ils ignoraient les principaux vices comme l’égoïsme, la jalousie…, et vivaient en étroite communication avec les dieux. L’une de ses différences avec les religions occidentales est le fait que le concept de divinité n’est pas vu sous un aspect anthropomorphique et omnipotent. L’Univers entier forme une unité dans laquelle règnent l’harmonie et la justice des lois de la Nature. Assez complexe, elle est à la source des nombreux rites que l’on pratique encore aujourd’hui au Japon.

Maître Ueshiba a été fortement influencé par l’esprit de cette religion, et l’on pouvait trouver de nombreuses allusions mythologiques dans les discours qu’il tenait pendant ses cours et ses conférences. Les deux pratiques les plus importantes qu’il a tenu à transmettre et qu’il considérait comme primordiales pour une pratique correcte de l’aïkido étaient la purification ou Misogi, qu’il a hérité notamment de Bonji Kawatsura (1862-1929), ainsi que l’étude du Kototama, apprise avec Onisaburo Deguchi.

Le Misogi

Le Misogi est une pratique très présente chez les shintoïstes. Elle consiste en une purification à la fois physique et spirituelle de tout son être, afin d’affiner les perceptions et de se rapprocher ainsi des dieux. Le Misogi se pratique de deux façons :  - il consiste en une ablution pour purifier le corps ;  - il s’agit de méditations afin de retrouver son essence divine.

Le Misogi externe

Normalement, il se pratique sous une cascade sacrée, considérée comme l’habitat d’une divinité particulière, mais en aïkido, on rencontre souvent cette pratique au début du cours, en guise d’échauffement.  Pour vous donner une idée de cette pratique, voici une description générale de la forme qu’elle peut prendre.

Avant le misogi

Le corps et l’esprit doivent être prêts pour la pratique. Pour cela, il est recommandé de ne pas manger de viande, ni boire d’alcool. Les capacités sensorielles ne doivent donc pas être inhibées.

  Préparation

Il faut se purifier avant d’entrer, car la chute d’eau est considérée comme une divinité, un Kami. Puis, on revêt des habillements traditionnels, spécifiques à la cérémonie.

Avant d’entrer, il faut saluer deux fois, taper deux fois dans ses mains, et saluer encore une fois. Après cela commencent les exercices d’« échauffement ».

Furitama

  1. Les pratiquants se tiennent debout, les pieds distants de la largeur des épaules. 
  2. Ils joignent mains, la droite par-dessus la gauche. Dans le creux formé entre les mains, ils essayent alors de visualiser une boule d’énergie qui grossira au cours de l’exercice. 
  3. Ils placent ensuite les mains toujours jointes au niveau du Hara (un peu au-dessous du nombril), et les secouent vigoureusement, de manière à ce que le corps entier se mette à vibrer. 
  4. Pendant que l’on secoue les mains, il faut répéter les mots : « Harae-do-no-Okami. », afin d’invoquer la divinité habitant la cascade.

Torifune

  1. Les pratiquants se mettent en garde à gauche et s’orientent sur leur gauche. 
  2. Ils serrent les deux poings et tendent les bras en avant. 
  3. A partir de cette position, ils entament un mouvement de va-et-vient avec les bras en ramenant les poings au niveau de vos hanches, comme s’ils étaient en train de ramer. Chaque mouvement est accompagné du son « Yie ». 
  4. Le mouvement doit être exécuté 20 fois. 
  5. Ils recommencent ensuite le Furitama. 
  6. Les participants prennent maintenant la garde à droite et s’orientent à droite, et recommencent l’exercice 20 fois ; mais en tendant les bras, ils prononcent le son « Ei » et en les ramenant, ils prononcent le son « Ho ». 
  7. Ils refont encore le Furitama, en garde à gauche, 20 fois. 
  8. Enfin, ils se baissent les mains ouvertes en criant « Yie », comme s’ils ramassaient du sable sur le sol, et il projette ce sable dans les airs en disant « Se », au-dessus de leur tête (les doigts tendus). 
  9. Ils répètent une dernière fois le Furitama.

Otakebi

  1. Debout, les participants placent leurs mains sur leurs hanches. 
  2. En même temps que celui qui dirige le rituel, ils crient les invocations : « Ikutama ! Tarutama ! Tama-tamaru-tama ! » 
  3. Répétez de même trois fois de suite : « Okami ! Okami ! kunitsu-Okami ! Sarutahiko Okami Totoshi-ya ! ». Cette phrase est censée élargir l’esprit des pratiquants, leur faire retrouver leur dimension originelle.

Okorobi

  1. En position debout, les pratiquants placent la main gauche sur la hanche et lèvent la droite, comme pour saluer quelqu’un, avec deux doigts tendus et les autres repliés. 
  2. Ils exécutent un mouvement de coupe avec la main droite et avancent le pied gauche chaque fois qu’ils invoquent les dieux suivants en disant:  « Kunitoko-tachi-no-Mikoto ! » « Yie !»   « Sarutahiko-no-Okami ! » « Yie ! »   « kokuryu-no-Okami ! » « Yie !»

Après chaque invocation, qui demande aux dieux cités de leur donner de la force, ils se ramènent en position de départ et recommencent.

Ibuki

  1. Les participants se tiennent debout, les pieds distants de la largeur des épaules. 
  2. Ils baissent mains au niveau de leurs genoux. 
  3. Ils inspirent en étendant leurs bras au-dessus de leur tête. 
  4. Ils expirent ensuite en les rebaissant. 
  5. Ce mouvement est répété cinq fois. 
  6. Ils se tournent alors vers la chute d’eau, saluent deux fois, tapent des mains une fois puis tendent leurs paumes de mains vers le haut, en direction de la cascade.

Les exercices de préparation sont maintenant terminés, la partie la plus importante commence ici.

Nyusui (entrée sous la cascade)

  1. Juste avant d’entrer dans l’eau, le dirigeant saupoudre un pratiquant de sel. 
  2. Ce dernier prend alors une louche de saké et de sel dans sa bouche, puis la recrache dans l’eau, trois fois de suite. 
  3. Le dirigeant se met à citer « Rin-Pyo-To-Sha-Kai-Zin-Retsu-Zai-Zen ». 
  4. Il tranche ensuite l’air symboliquement dans un geste de coupe, en criant « Yei ! ». Ce geste correspond à la destruction des impuretés qui émanent du pratiquant en train de se purifier. 
  5. Le participant entre ensuite dans l’eau et s’asperge le visage, le torse et les côtes. 
  6. Il frappe dans ses mains deux fois puis salue une fois. 
  7. Il entame ensuite une variante de l’exercice « Okorobi » : cette fois, il faut couper l’air de la droite vers la gauche. 
  8. Le pratiquant se place sous la cascade, l’épaule droite d’abord. 
  9. Il se retourne pour faire face au dirigeant, qui lui prend les mains, les majeurs joints. 
  10. Le pratiquant crie alors : « Harae-tamae-Kiyome-tamae-ro-kon-sho-jo ! ». Cette invocation correspond à une demande de purification. Il continue jusqu’à ce que le dirigeant lui fasse signe d’arrêter et de sortir de l’eau en criant « Yiei ! ».

Le rituel de purification s’achève alors.

Le Misogi interne

Pour le Fondateur, qui avait été largement influencé par Onisaburo Deguchi, le misogi interne correspondait à la pratique de la méditation Chikon-Kishin.   Chikon signifie « rasseoir son esprit et se reprendre ».  Kishin a le sens de « retrouver l’esprit divin ».

Vers la fin de sa vie, Morihei avait pris l’habitude de méditer une heure tous les matins et tous les soirs. Il encourageait ses élèves à cette pratique hautement purificatrice, pour qu’ils s’imprègnent spirituellement de l’essence de l’aïkido:

« Vous avez besoin du Chikon-kishin pour être pénétré de la lumière de la sagesse. Asseyez-vous confortablement et contemplez en tout premier lieu le royaume visible de l’existence. Ce monde est concerné par la forme extérieure et physique des choses.   Emplissez votre corps de Ki et imprégnez-vous de l’organisation fonctionnelle de l’univers, sa forme, sa couleur et ses vibrations. Inspirez et envolez-vous jusqu’aux confins de l’univers ; expirez et laissez-vous pénétrer par le cosmos. Puis, inspirez toute la fécondité et les vibrations de la terre pour mélanger le souffle du ciel et le souffle de la terre au vôtre, devenant le souffle même de la vie. En reprenant votre calme, laissez-vous naturellement conduire dans le royaume caché sans forme, revenant au cœur des choses. Trouvez votre centre, le kototama SU, la source de l’univers. Emplissez-vous de lumière et de chaleur. Ainsi, vous garderez toujours votre esprit aussi brillant et clair que le vaste ciel, l’immense océan et les sommets les plus hauts, et libre. »

Le Misogi interne consiste en une respiration profonde. Sa pratique amenait à un repos de l’esprit, c’est-à-dire à un arrêt des activités mentales inutiles, ainsi qu’à une « purification des six sens » (vue, ouïe, odorat, goût, toucher et esprit), qui permet d’éclaircir la perception des choses et de l’univers.  Cette pratique conduit alors à un état d’esprit spécial, le Kansha, qui est un sentiment de profond respect pour la Nature et la vie. On se rend compte du caractère sacré de tout ce qui nous entoure, et du continuel renouvellement de l’univers. « Si vous comprenez les principes de l’aïkido, vous serez également heureux d’être vivants et vous accueillerez chaque nouveau jour dans la joie et le bonheur », disait Maître Ueshiba.

Pour le Fondateur, l’aïkido est de toutes façons une pratique purificatrice par essence, qui « nettoie » aussi bien le corps que l’âme. Il illustrait ce principe dans ces pratiques du Misogi-no-jo (mouvements pratiqués avec le Jo) ou du Misogi-no-ken (avec la sabre), ou même avec un éventail.

Le Kototama

Le kototama est un principe important de la pensée shintoïste.  Il n’est pas très facile à saisir, mais je vais essayer de vous en faire une présentation la plus claire possible, car il peut se révéler extrêmement intéressant dans l’étude des techniques d’aïkido.   C’est un concept qui, comme celui de Ki, ne possède aucune traduction littérale dans les autres langues.  En clair, le kototama est la source de toute vie et de toute création. Selon ce principe, l’univers est en réalité composé de vibrations, d’émissions d’énergie, qui se manifestent sous forme de matière, de pensée, de mouvements…  C’est ce type de vibrations qui est appelé kototama, c’est-à-dire « âmes-mots ».  On peut remarquer au passage que cette doctrine se rapproche un peu de la « théorie des cordes » de la physique actuelle.   Selon cette pensée, la naissance de l’univers a donc été décrite d’après l’émergence de divers kototama.  Dans ce système, il existe cinq sons principaux, qui sont les voyelles : A, E, I, O, U (SU).

Le son U

Le kototama U correspond au infini, c’est-à-dire ce qu’il y avait avant la création de l’univers. De ce fait, lorsque le se manifeste, il s’agit de la vibration U qui est émise.  C’est une dimension qui n’est pas intellectuellement imaginable. En fait, lorsqu’on considère l’univers et que l’on enlève tout ce qu’il contient, alors il reste une espèce de « toile de fond », support de l’univers. C’est cette dimension qui correspond au son U.

Le son SU

L’univers était donc précédé du infini, le son U, qui précède toute création.  De ce absolu a pourtant jailli l’univers : il s’agit alors de la manifestation du son SU.  SU est le pouvoir créateur ; sans lui, le aurait stagné sans changer pendant toute l’éternité. C’est donc l’amorce qui a déclenché le mécanisme de création.

Le son I

Le kototama I agit en étroite relation avec le kototama SU.  SU est le pouvoir créateur, mais I insuffle la vie à la matière créée par SU ; c’est le pouvoir moteur de la vie.

Le son A

Le kototama A correspond à l’expansion de l’univers.  Il est également à la source de la conscience que chaque être possède en lui. C’est le lien qui nous relie avec notre origine, et qui nous permet de comprendre que chaque être s’inscrit dans la continuité de cette expansion de l’univers.  En bref, toutes nos croyances religieuses et métaphysiques sont stimulées par le son A.

Le son E

Le kototama E correspond à notre intelligence, c’est-à-dire notre façon de percevoir l’univers dans lequel nous vivons. De ce fait, notre capacité de discrimination, c’est-à-dire de distinguer les différents phénomènes que l’on voit autour de soi, est la manifestation du son E.

Le son O

Le dernier des six principaux sons, le kototama O, se manifeste par la cohésion et l’organisation des éléments constitutifs de l’univers. Les liaisons moléculaires, pour donner un exemple, sont dues à l’émission du kototama O.

En résumé

  1. La vibration U est émise : la « toile de fond » de l’univers apparaît.  
  2. La vibration SU déclenche l’apparition des éléments constitutifs de l’univers.  
  3. La vibration I insuffle la vie dans la matière.  
  4. La vibration A donne à chaque être créé la conscience de soi.  
  5. La vibration E lui donne également l’intelligence et la perception.  
  6. La vibration O permet la cohésion et la distribution de l’énergie dans les éléments constitutifs de l’univers.

 Voilà ; je crois que la compréhension de ce système n’est pas vraiment aisée. Malgré tout, elle peut être très intéressante dans la pratique de l’aïkido.

En effet, à chaque mouvement, on peut associer un kototama, et ainsi comprendre le sens profond des moindres gestes que l’on effectue lors d’une technique d’aïkido.

Interprétation

D’une façon générale, la relation entre kototama et aïkido s’explique de la manière suivante (vous noterez la fidèle correspondance avec la création de l’univers).

  1. Tous les mouvements commencent dans le Hara, le centre du corps et centre de l’univers (kototama U et SU, état originel et déclenchement). 
  2. Le Ki s’anime alors à partir du centre, il se met en action (kototama I, souffle de la vie). 
  3. La technique commence par l’expansion d’énergie à partir de ce point (kototama A, expansion infinie). 
  4. Cette extension engendre alors un mouvement spécifique des membres, qui donnera forme à la technique (kototama E, discernement). 
  5. Au cours de la technique, l’attaquant et l’adversaire unissent alors leur mouvement (kototama O, cohésion), ce qui est un principe essentiel de l’aïkido.

Voilà donc la relation que l’on peut mettre en place avec uniquement les six kototama principaux. En réalité, il en existe beaucoup plus.

Leur étude est assez complexe, mais on pourrait retrouver en chacun d’eux un lien étroit avec certains mouvements d’aïkido, car le Fondateur disait lui-même que « l’aïkido a été créé selon les principes du kototama ».

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