La plus poignante de toutes les histoires qui nous sont parvenues est sans
doute celle qui vit tomber dans le gouffre de la mort 47 fidèles serviteurs
: 14 décembre 1702. Quarante-sept ombres se faufilent à travers
les rues sombres d'Edo (1). La neige qui tombe lentement ne semble pas les déranger.
Ils ont l'air calme, presque zen, mais dans leur coeur brûle la flamme
de la vengeance. Le rassemblement se fait, ils sont prêt à faire
ce qu'ils ont prévu depuis 2 ans "Banzaï !!!" Le cri d'assaut
déchire le silence...l'attaque vient de commencer. Les quarante-sept
rônins (2) venaient d'entrer dans l'histoire.
Cette histoire commence au tout début du XVIIIe siècle. Depuis
1603, le Japon est sous la domination politique et militaire des Tokugawa au
titre de shôgun (3). L'empereur, Fils du Ciel, n'a plus qu'un pouvoir
religieux symbolique. Le shôgun de l'époque est Tokugawa Tsunayoshi
(4) . L'empereur vient d'envoyer à Edo, auprès de lui, trois ambassadeurs
afin qu'ils parlent en son nom. Afin de les recevoir comme ils le méritent,
étant donné leur rang, on confia les préparatifs à
deux grands seigneurs de l'époque. L'un d'eux était Asano Naganori,
un très riche seigneur, à qui fut confié la direction de
la cérémonie. Il déclina l'offre en arguant son ignorance
en matière d'étiquette de la cour. Après plusieurs pressions
de la part des autres seigneurs, il accepta à la condition d'être
aidé du maître de cérémonie officiel Kira Yoshihisa.
La coutume voulait que l'on offre un cadeau à un fonctionnaire lorsqu'on
lui demandait un service. On conseilla donc à Asano de ne pas être
avare envers le vieux courtisans. Mais Asano avait été élevé
dans le principe droit du confucianisme et refusait de donner à un fonctionnaire
de l'État plus de cadeaux que son rang n'en méritait. C'était,
selon lui, le devoir de Kira de lui donner les informations nécessaires.
Malheureusement, Asano ne connaissait pas les usages d'Edo, ni la mentalité
corrompue des grands de l'époque. Il ne donna qu'un présent symbolique
à kira. Celui-ci le prit très mal et se rendit indisponible pour
Asano. Lorsque les ambassadeurs arrivèrent à Edo, Asano réussit
à se débrouiller pour ne pas perdre la face. Mais vint le moment
où il faudrait qu'il fasse acte de présence devant les ambassadeurs.
Il trouva Kira et lui demanda ce qu'il devait faire. Celui-ci lui répondit
:
- Vous auriez dû vous occuper de cela avant. Maintenant, je n'ai plus
le temps. Il murmura en plus, ce qui fut la goutte qui déborda du vase
:
- Une bonne médecine est toujours amère. Asano n'en revenait pas
! Kira venait de l'insulter en public ! Fou de rage, il dégaina son wakisashi
(5) et donna, semble-t-il, un coup si subtile que Kira ne le sentit même
pas et le hakama (6) de ce dernier tomba sur le sol. Kira cria pour qu'on vienne
à son aide. Un autre coup de sabre lui fendit la bouche ouverte (7) et
des flots de sang vinrent étouffer son appel. On maîtrisa Asano
et informa le shôgun de la situation.
Tirer la lame dans le palais du shôgun était déjà
un acte grave. Répendre le sang l'était encore plus. Asano fut
"invité" par le shôgun à se faire seppuku (8)
au coucher du soleil. Ses terres furent confisquées et ses vassaux dispersés...ou
presque. Des 200 vassaux d'Asano, 47 décidèrent de rester fidèles
à leur maître et de le venger de l'affront que lui avait fait Kira,
ce qui est leur devoir le plus sacré. Pour cela ils résolurent
de se faire oublier pendant 2 années. Années pendant lesquelles
ils furent la honte des guerriers, certains se convertirent au lucre d'autres
devenant alcooliques, certains mêmes faisant la manche se faisaient rouer
de coups par les plus déçus et colériques des samouraï.
En fait, ils préparaient leur vengeance sous le couvert de la honte.
À leur tête, le doyen des samouraïs d'Asano, Oishi Kuranosuke
organisa et orchestra une vengeance soigneusement préparée tout
en se cachant sous un masque de fêtard sans honneur.
En grand secret, ils se firent fabriquer des armes et des armures spécialement
pour l'occasion. Alors que presque tout le monde les avait oublié, ils
surgirent devant la maison de Kira à Edo et passèrent à
l'attaque en vrais samouraïs : le sabre à la main et la rage au
coeur. Les voisins de Kira furent réveillé par l'attaque, mais
personne ne s'en mêla: ils savaient ce qui se passait et c'était
une affaire d'honneur. Les serviteurs de Kira furent presque tous massacrés:
samourais de garde comme domestiques. Les rônins cherchèrent Kira
partout dans sa maison avant de le trouver cacher sous une pile de vêtements
sales. Ils sommèrent Kira de se faire seppuku comme un homme d'honneur.
Devant le refus de ce dernier, Oishi le décapita. Les 46 rônins
restant (l'un d'eux était mort durant la bataille) allèrent déposer
la tête de Kira sur la tombe d'Asano pour lui rendre hommage Leur maître
était vengé. Ensuite, ils se constituèrent prisonniers
et se rendirent aux autorités d'Edo.
Leur acte fut admiré de tous et le peuple d'Edo les considéra
comme des héros. Même le shôgun admira leur courage. Le conseil
shôgunal se demanda ce qu'il allait faire d'eux. On ne pouvait les condamner
à mort comme des chiens, car ils avaient fait ce qu'on leur avait enseigné
depuis l'enfance. On ne pouvait les laisser libre, car cela pourrait entraîner
d'autres cas de vengeance. La décision tomba le 1er février 1703.
Ils avaient vécu en samouraïs, ils allaient mourrir comme tel dans
la dignité et l'honneur. Ils ont reçu l'ordre de se faire seppuku,
geste qu'ils étaient tous prêt à faire depuis le début
(9) . Leur suicide fut exemplaire. Seul le plus jeune fut épargné
(16 ans) et reçu l'ordre d'honnorer et de s'occuper toute sa vie de la
tombe de ses frères d'arme.
Encore de nos jours, l'histoire des quanrante-sept rônins frappe l'imagination
du peuple nippon. Bien que leur acte dénote un profond romantisme, il
n'en reste pas moins qu'ils sont les représentants d'un trait culturel
et d'un code d'honneur unique. On peut encore admier leur tombe au temple Sengaku-ji
à Tokyo. Leur acte a été fait dans la plus pure tradition
du bushido : le dévoument le plus total envers son seigneur et maître.
L'adage dit: "Tu ne vivras pas sous le même ciel que, ni ne foulera
le même sol que l'ennemi de ton père ou de ton seigneur" (Confucius)
Cet adâge dans le cas des 47 rônins, fut respecté à
la lettre... "Hana wa sakuragi hito wa bushi (10) .
1- Ancien nom de la ville de Tokyo retour
2- Ronins: Samourai sans maître
3- Shôgun: Dirigeant politique et militaire au Japon médiéval
et moderne.
4- Tokugawa Tsunayoshi: 5e shôgun de la dynastie des Tokugawa
5- Wakizashi: sabre court
6- Hakama: pantalon ample
7- Une autre version dit qu'il aurait été frappé au front
8- Seppuku: Suicide rituel qui consiste à s'ouvrir le ventre et à
se faire trancher la tête
9- NB: Mettre à mort et ordonner le suicide rituel sont deux choses complètement
différentes au Japon. Le seppuku est considéré comme la
mort la plus glorieuse après la mort sur le champs de bataille.
10- De même que la fleur du cerisier est la fleur par excellence, le guerrier
est l'homme par excellence.