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samedi 2 juillet 2005

47 ronins

La plus poignante de toutes les histoires qui nous sont parvenues est sans doute celle qui vit tomber dans le gouffre de la mort 47 fidèles serviteurs : 14 décembre 1702. Quarante-sept ombres se faufilent à travers les rues sombres d'Edo (1). La neige qui tombe lentement ne semble pas les déranger. Ils ont l'air calme, presque zen, mais dans leur coeur brûle la flamme de la vengeance. Le rassemblement se fait, ils sont prêt à faire ce qu'ils ont prévu depuis 2 ans "Banzaï !!!" Le cri d'assaut déchire le silence...l'attaque vient de commencer. Les quarante-sept rônins (2) venaient d'entrer dans l'histoire.

Cette histoire commence au tout début du XVIIIe siècle. Depuis 1603, le Japon est sous la domination politique et militaire des Tokugawa au titre de shôgun (3). L'empereur, Fils du Ciel, n'a plus qu'un pouvoir religieux symbolique. Le shôgun de l'époque est Tokugawa Tsunayoshi (4) . L'empereur vient d'envoyer à Edo, auprès de lui, trois ambassadeurs afin qu'ils parlent en son nom. Afin de les recevoir comme ils le méritent, étant donné leur rang, on confia les préparatifs à deux grands seigneurs de l'époque. L'un d'eux était Asano Naganori, un très riche seigneur, à qui fut confié la direction de la cérémonie. Il déclina l'offre en arguant son ignorance en matière d'étiquette de la cour. Après plusieurs pressions de la part des autres seigneurs, il accepta à la condition d'être aidé du maître de cérémonie officiel Kira Yoshihisa. La coutume voulait que l'on offre un cadeau à un fonctionnaire lorsqu'on lui demandait un service. On conseilla donc à Asano de ne pas être avare envers le vieux courtisans. Mais Asano avait été élevé dans le principe droit du confucianisme et refusait de donner à un fonctionnaire de l'État plus de cadeaux que son rang n'en méritait. C'était, selon lui, le devoir de Kira de lui donner les informations nécessaires.

Malheureusement, Asano ne connaissait pas les usages d'Edo, ni la mentalité corrompue des grands de l'époque. Il ne donna qu'un présent symbolique à kira. Celui-ci le prit très mal et se rendit indisponible pour Asano. Lorsque les ambassadeurs arrivèrent à Edo, Asano réussit à se débrouiller pour ne pas perdre la face. Mais vint le moment où il faudrait qu'il fasse acte de présence devant les ambassadeurs. Il trouva Kira et lui demanda ce qu'il devait faire. Celui-ci lui répondit :

- Vous auriez dû vous occuper de cela avant. Maintenant, je n'ai plus le temps. Il murmura en plus, ce qui fut la goutte qui déborda du vase :
- Une bonne médecine est toujours amère. Asano n'en revenait pas ! Kira venait de l'insulter en public ! Fou de rage, il dégaina son wakisashi (5) et donna, semble-t-il, un coup si subtile que Kira ne le sentit même pas et le hakama (6) de ce dernier tomba sur le sol. Kira cria pour qu'on vienne à son aide. Un autre coup de sabre lui fendit la bouche ouverte (7) et des flots de sang vinrent étouffer son appel. On maîtrisa Asano et informa le shôgun de la situation.

Tirer la lame dans le palais du shôgun était déjà un acte grave. Répendre le sang l'était encore plus. Asano fut "invité" par le shôgun à se faire seppuku (8) au coucher du soleil. Ses terres furent confisquées et ses vassaux dispersés...ou presque. Des 200 vassaux d'Asano, 47 décidèrent de rester fidèles à leur maître et de le venger de l'affront que lui avait fait Kira, ce qui est leur devoir le plus sacré. Pour cela ils résolurent de se faire oublier pendant 2 années. Années pendant lesquelles ils furent la honte des guerriers, certains se convertirent au lucre d'autres devenant alcooliques, certains mêmes faisant la manche se faisaient rouer de coups par les plus déçus et colériques des samouraï. En fait, ils préparaient leur vengeance sous le couvert de la honte. À leur tête, le doyen des samouraïs d'Asano, Oishi Kuranosuke organisa et orchestra une vengeance soigneusement préparée tout en se cachant sous un masque de fêtard sans honneur.

En grand secret, ils se firent fabriquer des armes et des armures spécialement pour l'occasion. Alors que presque tout le monde les avait oublié, ils surgirent devant la maison de Kira à Edo et passèrent à l'attaque en vrais samouraïs : le sabre à la main et la rage au coeur. Les voisins de Kira furent réveillé par l'attaque, mais personne ne s'en mêla: ils savaient ce qui se passait et c'était une affaire d'honneur. Les serviteurs de Kira furent presque tous massacrés: samourais de garde comme domestiques. Les rônins cherchèrent Kira partout dans sa maison avant de le trouver cacher sous une pile de vêtements sales. Ils sommèrent Kira de se faire seppuku comme un homme d'honneur. Devant le refus de ce dernier, Oishi le décapita. Les 46 rônins restant (l'un d'eux était mort durant la bataille) allèrent déposer la tête de Kira sur la tombe d'Asano pour lui rendre hommage Leur maître était vengé. Ensuite, ils se constituèrent prisonniers et se rendirent aux autorités d'Edo.

Leur acte fut admiré de tous et le peuple d'Edo les considéra comme des héros. Même le shôgun admira leur courage. Le conseil shôgunal se demanda ce qu'il allait faire d'eux. On ne pouvait les condamner à mort comme des chiens, car ils avaient fait ce qu'on leur avait enseigné depuis l'enfance. On ne pouvait les laisser libre, car cela pourrait entraîner d'autres cas de vengeance. La décision tomba le 1er février 1703. Ils avaient vécu en samouraïs, ils allaient mourrir comme tel dans la dignité et l'honneur. Ils ont reçu l'ordre de se faire seppuku, geste qu'ils étaient tous prêt à faire depuis le début (9) . Leur suicide fut exemplaire. Seul le plus jeune fut épargné (16 ans) et reçu l'ordre d'honnorer et de s'occuper toute sa vie de la tombe de ses frères d'arme.

Encore de nos jours, l'histoire des quanrante-sept rônins frappe l'imagination du peuple nippon. Bien que leur acte dénote un profond romantisme, il n'en reste pas moins qu'ils sont les représentants d'un trait culturel et d'un code d'honneur unique. On peut encore admier leur tombe au temple Sengaku-ji à Tokyo. Leur acte a été fait dans la plus pure tradition du bushido : le dévoument le plus total envers son seigneur et maître. L'adage dit: "Tu ne vivras pas sous le même ciel que, ni ne foulera le même sol que l'ennemi de ton père ou de ton seigneur" (Confucius) Cet adâge dans le cas des 47 rônins, fut respecté à la lettre... "Hana wa sakuragi hito wa bushi (10) .

1- Ancien nom de la ville de Tokyo retour
2- Ronins: Samourai sans maître
3- Shôgun: Dirigeant politique et militaire au Japon médiéval et moderne.
4- Tokugawa Tsunayoshi: 5e shôgun de la dynastie des Tokugawa
5- Wakizashi: sabre court
6- Hakama: pantalon ample
7- Une autre version dit qu'il aurait été frappé au front
8- Seppuku: Suicide rituel qui consiste à s'ouvrir le ventre et à se faire trancher la tête
9- NB: Mettre à mort et ordonner le suicide rituel sont deux choses complètement différentes au Japon. Le seppuku est considéré comme la mort la plus glorieuse après la mort sur le champs de bataille.
10- De même que la fleur du cerisier est la fleur par excellence, le guerrier est l'homme par excellence.

Un bouddha à tuer

Un prêtre bouddhiste très croyant reçut la visite d’un samouraï par une froide nuit d’hiver. Il lui raconta que sa vie d’austérité venait enfin d’être récompensée il avait vu le Bouddha, à cheval sur un éléphant blanc, lui apparaître au sommet d’une colline au lever de la lune. Le samouraï monta la garde avec lui cette nuit-là.., et, au lever de la lune, il vit également le Bouddha. Il prit son arc et tira. Il y eut un cri et le Bouddha disparut. Le prêtre était horrifié. Le samouraï lui expliqua qu’il n’était pas particulièrement croyant. S'il avait vu la même chose que le prêtre, ce devait être une illusion. Le lendemain, ils se rendirent à la colline et trouvèrent un gros blaireau transpercé d’une flèche. C’est peut-être cette histoire qui a inspiré le proverbe : “Si vous rencontrez le Bouddha sur une route, tuez-le ! Si vous rencontrez un kami sur une route, tuez-le! C’est le seul moyen de découvrir leur véritable nature” !

Expérience et maturité

« Un maître d'escrime vivait avec ses trois fils. Il reçut un jour la visite d'un vieil ami. Les deux hommes ne s'étaient plus vus depuis quelques années et, tout à la joie de leurs retrouvailles, ils échangeaient souvenirs et nouvelles. Et le visiteur de s'enquérir des trois jeunes hommes : " Pratiquent-ils assidûment l'art du sabre ? Le plus jeune me semblait particulièrement doué, non ? "
- Attends, répondit le père, nous allons les mettre à l'épreuve ... Je crois que l'expérience et la maturité restent déterminantes ...

Les trois fils travaillaient à l'étage, dans leur chambre. Le père se leva et plaça un sabre en équilibre sur le panneau coulissant qui fermait la pièce. Il se rassit et appela impérativement son fils cadet : - " Ioro ! Descends tout de suite !" Des pas précipités dévalèrent l'escalier. Le panneau glissa, libérant le boken qui tomba en frôlant le garçon : déjà, celui-ci avait fait un bond en arrière et se tenait en garde; superbe et calme de détermination. Tandis que notre visiteur le félicitait, impressionné par cette jeune maîtrise, le père le priait de s'asseoir après avoir remis le boken en place et appelé son second fils. Des pas assurés se firent entendre dans l'escalier, le vantail s'ouvrit mais le boken ne heurta pas le sol : le jeune homme l'avait saisi au vol et le tendait respectueusement à son père. Le troisième fils fut alors appelé et notre ami ne voyait vraiment pas quelle performance supérieure on pouvait attendre de lui ! Quelques secondes s'écoulèrent dans le silence et, soudain, l'autre porte s'ouvrit : - " Pardon, père, tu m'as demandé ?' Le maître sourit : ce qui devait être fait avait été fait sans que rien ne soit dérangé.»

Asari

A l'âge de 27 ans, Yamaoka Tesshu, qui était déjà un expert de sabre réputé, combattit avec Asari Matashichiro, lui aussi sabreur célèbre. Cette rencontre fut brève car Asari désarma rapidement son jeune adversaire. Bouleversé Yamaoka connut une détresse sans borne parce qu'il réalisa combien il manquait de maturité spirituelle. Motivé par cette rencontre, il redoubla d'efforts pour se consacrer entièrement à l'entraînement au Kenjutsu (Art du sabre) et à la méditation (Zazen). Désirant mettre à l'épreuve le niveau qu'il avait atteint après dix ans de cette pratique intensive, il rencontra de nouveau Asari. Au cours de ce second combat, il sentit combien son adversaire le dominait
et, paralysé par la maîtrise qui se dégageait d'Asari, il refusa de poursuivre le combat et reconnut sa défaite. Cette nouvelle rencontre l'impressionna tant qu'il fut désormais hanté par l'image d'Asari, image obsédante qui lui rappelait sans cesse sa médiocrité. Loin de se résigner, il intensifia sa pratique du sabre et de la méditation. Sept années passèrent quand, après une forte expérience spirituelle, il constata soudain que l'image d'Asari avait cessé de le tourmenter. Il décida alors de se mesurer une nouvelle fois avec lui. Asari le fit d'abord combattre avec l'un de ses élèves mais celui-ci s'avoua vaincu dès le début du combat. Yamaoka rencontra alors Asari pour la 3ème fois. Les deux hommes se firent face un long moment, se jaugeant du regard. Soudain, Asari abaissa son sabre et déclara : " Vous y êtes, vous êtes enfin sur la Voie."

Le secret de l'efficacité

Devenu expert et un professeur renommé de l'art du sabre, Ito Ittosaï était cependant loin d'être satisfait de son niveau. Malgré ses efforts il avait conscience que depuis quelque temps il ne parvenait plus à progresser. Dans son désespoir, il décida de suivre l'exemple du bouddha, les sutras rapportent en effet que celui-ci s'était assis sous un figuier pour méditer avec la résolution de ne plus bouger tant qu'il n'aurait pas reçu la compréhension ultime de l'existence et de l'univers. Déterminé à mourir sur la place plutôt que de renoncer, le bouddha réalisa son vœu : il s'éveilla à la suprême Vérité. Ito Ittosaï se rendit donc dans un temple afin de découvrir le secret de l'Art du Sabre. Il consacra 7 jours et 7 nuits à la médiation. A l'aube du 8ème jour, épuisé et découragé de ne pas en savoir plus, il se résigna à rentrer chez lui, abandonnant tout espoir de percer la fameux secret. Après être sorti du temple, il s'engagea dans une allée boisée. A peine avait-il fait quelques pas que, soudain, il sentit une présence menaçante derrière lui. Sans réfléchir, il se retourna en dégainant son arme. C'est alors qu'il se rendit compte que son geste spontané venait de lui sauver la vie : un bandit gisait à ses pieds, sabre en main.

Une claire perception

Shôjû Rôjin dut, selon ses propres dires, attendre l'âge de cinquante-cinq ans pour parvenir à la continuité dans la "juste perception", la claire vision du clair esprit. Il attachait tellement d'importance à cela qu'il baptisa son ermitage "la cabane de la juste Perception". Rares étaient les moines qui se risquaient à rencontrer ce vieil homme, héritier direct d'une très ancienne lignée, et devenu l'un des plus grands maîtres du japon. Certains guerriers, toutefois, n'hésitaient pas à faire appel à lui pour progresser dans l'éclaircissement de l'esprit. Un jour, quelques samouraï pratiquaient la concentration zen en tirant au sabre devant le maître. Lorsqu'ils s'arrêtèrent pour reprendre haleine, l'un d'eux dit à l'ermite : "Pour ce qui est du principe, votre compréhension se relève bien supérieure à la nôtre, mais s'il s'agit de pratique, ne l'emportons-nous pas sur vous ?". Saisissant sur-le-champ cette opportunité, le vieux maître lança un défi aux samouraï. Le guerrier fanfaronnant tendit au vieil homme un sabre en bois, mais le maître refusa, arguant du faut qu'un moine bouddhiste ne saurait brandir une arme, fût-elle en bois. Non, il ferait usage de son éventail, dont le support métallique suffirait amplement à sa défense. " Essayez donc de m'atteindre" lança le maître, exhortant les samouraï au combat. Les guerriers ne pouvaient refuser un tel défi. Empoignant leurs sabres, ils attaquèrent le vieil homme sous tous les angles. Mais à mesure que celui-ci faisait une démonstration virtuose de l'art de la défense, leur émerveillement grandissait - et diminuait d'autant leur vigueur ! Chaque coup était adroitement paré par l'éventail du maître, qui semblait attirer les sabres comme un aimant. Brisés de fatigue, les guerriers durent admettre que le vieil homme se relevait capable de transformer à volonté sa connaissance abstraite en action concrète. L'un d'eux demanda quel était son secret. "- Il n'y a là aucun mystère, répondit le vieux maître, lorsque votre perception objective est claire, vous faites mouche à tous les coups."

Le Ki

Un maître du combat à main nue enseignait son art dans une ville de province. Sa réputation était telle dans la région qu'il défiait toute concurrence : les pratiquants boudant tous les autres professeurs. Un jeune expert voulu en finir de ce monopole, ce règne. L'expert se présenta à l'école, un vieillard lui ouvrit la porte. Sans hésiter le jeune homme annonça son intention. Le vieil homme, visiblement embarrassé, tenta de lui expliquer combien cette idée était suicidaire, étant donné la redoutable efficacité du maître. Pour impressionner ce vieux radoteur qui semblait douter de sa force, l'expert s'empara d'une planche et, d'un coup de genou, il la cassa en deux. Le vieillard demeura imperturbable. Le visiteur insista à nouveau pour combattre avec le maître, menaçant de tout casser. Le vieux bonhomme le pria alors d'attendre et il disparut. Quand il revint peu après, il tenait à la main un énorme morceau de bambou. Il le tendit au jeune en lui disant : "- Le maître a l'habitude de casser avec un coup de poing des bambous de cette taille? Je ne peux prendre au sérieux votre requête si vous n'êtes pas capable d'en faire autant." S'efforçant de faire subit au bambou le même sort que la planche, le jeune présomptueux dut finalement renoncer, épuisé, les membres endoloris. Il déclara qu'aucun homme ne pouvait casser ce bambou à main nue. Le vieillard répliqua que le maître, lui , pouvait. Il conseilla au visiteur d'abandonner son projet tant qu'il ne serait pas capable d'en faire autant. Excédé, l'expert jura de revenir et de réussir l'épreuve. Deux années passèrent pendant lesquelles il s'entraîna intensivement à la casse. Chaque jour il se musclait et durcissait son corps. Ses efforts portèrent leurs fruits car il se présenta à nouveau à la porte de l'école, sûr de lui. Le même petit vieux le reçut. Exigeant qu'on lui apporte l'un des fameux bambous pour le test, le visiteur ne tarda pas à le caler entre deux énormes pierres. Il se concentra quelques secondes, leva la main puis il cassa le bambou en poussant un cri terrible. Un sourire de satisfaction aux lèvres, il se retourna vers le frêle vieillard. Celui-ci fit un peu la moue et déclara : " Décidément, je suis impardonnable, je crois que j'ai oublié de préciser un détail ! le maître casse le bambou … sans le toucher." Le jeune homme, hors de lui, répliqua qu'il ne croyait pas aux exploits de ce maître dont il n'avait même pas pu vérifier la simple existence. Saisissant alors un solide bambou, le vieil homme le suspendit à une ficelle qu'il accrocha au plafond. Après avoir respiré profondément, sans quitter des yeux le bambou, il poussa alors un cri terrifiant qui venait du plus profond de son être, et sa main, tel un sabre, fendit l'air pour s'arrêter à 5 centimètres du bambou … qui éclata. Subjugué par le choc qu'il venait de recevoir, l'expert resta plusieurs minutes sans pouvoir dire un seul mot, pétrifié. Finalement, il demanda humblement pardon au vieux maître pour son odieux comportement et le pria de l'accepter comme élèves.

Le saki

Tajima no kami ('no kami' était un titre donné aux maîtres vénérés qui étaient ainsi consacrés comme de véritables dieux vivants) se promenait dans son jardin par un bel après-midi de printemps. Il semblait complètement absorbé dabs la contemplation des cerisiers en fleur. A quelques pas derrière lui, un jeune serviteur le suivait en portant son sabre. Une idée traversa l'esprit du jeune garçon : " Malgré toute l'habileté de mon maître au sabre, il serait aisé de l'attaquer en ce moment par-derrière, tant il paraît charmé par les fleurs de cerisiers." A cet instant précis, Tajima no kami se retourna et chercha autour de lui, comme s'il voulait découvrir quelqu'un qui serait caché. Inquiet, il se mit à fouiller dans tous les recoins du jardin. Ne trouvant personne, il se retira dans sa chambre, très soucieux. Un serviteur finit par lui demander s'il allait bien et s'il désirait quelque chose. Tajima répondit : - " Je suis profondément troublé par un étrange incident que je ne peux m'expliquer. Grâce à ma longue expérience des arts martiaux, je peux ressentir toute pensée agressive émise contre moi (le saki). Quand j'étais dans le jardin, cela m'est justement arrivé. A part mon serviteur, il n'y avait personne, pas même un chien. Ne pouvant justifier ma perception, je suis mécontent de moi." Le jeune garçon, apprenant cela, s'approcha du maître et lui avoua l'idée qu'il avait eue, alors qu'il se tenait derrière lui. Il lui en demanda humblement pardon. Tajima no kami se détendit et satisfait, retourna dans le jardin.

La démonstration

Un rônin rendit visite à Matajuro Yagyu, illustre Maître de l'art du sabre, avec la ferme intention de le défier pour vérifier si sa réputation n'était pas surfaite. Le maître tenta d'expliquer au rônin que le motif de sa visite était stupide et qu'il ne voyait aucune raison de relever le défi. Mais le visiteur, qui avait l'air d'être un expert redoutable et avide de célébrité, était décidé d'aller jusqu'au bout. Afin de provoquer le Maître, il n'hésita pas à le traiter de lâche. Matajuro Yagyu n'en perdit pas pour autant son calme mais il fit signe au rônin de le suivre dans son jardin. Il indiqua ensuite du doigt le sommet d'un arbre. Etait-ce une ruse destinée à détourner l'attention ? Le visiteur plaça sa main sur la poignée de son sabre, recula de quelques pas avant de jeter un coup d'œil dans la direction indiquée. Deux oiseaux se tenaient effectivement sur une branche. Et alors ?
Sans cesser de les regarder, le maître Yagyu respira profondément jusqu'à ce qu'il laisse jaillir un Kiaï, un cri d'une puissance formidable. Foudroyés, les deux oiseaux tombèrent au sol, inanimés.
- " Qu'en pensez-vous ?" Demanda Matajuro Yagyu à son visiteur qui ouvrit de grands yeux.
- " In… incroyable …", balbutia le rônin, visiblement ébranlé comme si le kiaï l'avait lui aussi transpercé.
- " Mais vous n'avez pas vu encore le plus remarquable …"
Le second kiaï du maître retentit alors. Cette fois, les oiseaux battirent des ailes et s'envolèrent. Le ronin aussi.

Le ryu (école) du combat sans arme

Le célèbre maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d'autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n'arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maîtrise au sabre. A l'écouter, il était le champion toutes catégories de tout le japon, ce que les voyageurs semblaient croire au vu de leurs regards goguenards où se mêlaient admiration et crainte. Le maître ne s'en préoccupa donc pas, ce qui finit par vexé le samouraï qui voyait bien l'attention de Bokuden se concentrer ailleurs. Il lui dit : " Toi, aussi tu portes une paire de sabre. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot ?" Bokuden répondit : - " Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu". Le samouraï se gratta le crâne de perplexité et demanda :
- " Mais alors quelle est ton école ?"
- " C'est l'école du combat sans arme."
- " Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des armes ?"
- " Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C'est un sacré défi !"
Exaspéré, le samouraï demanda :
- " Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi, sans sabre ?"
- " Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne !"
Hors de lui, le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bokuden suggéra qu'il serait préférable d'aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d'attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï, impatient d'en découdre, sauta à terre, il dégainait déjà son sabre, prêt au combat. Bokuden enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s'élança pour sauter à terre, quand soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau de la berge pour le pousser dans le courant. Bokuden se retourna alors vers le samouraï qui gesticulait sur une île déserte et il lui cria : - " tu vois, c'est cela, vaincre sans arme !"

A telle âme telle arme

"Le sabre est l'âme du samouraï ", nous dit l'une des plus vieilles maximes du bushido, la Voie du guerrier. Symbole de virilité, de loyauté et de courage, le sabre est l'arme favorite du samouraï. Mais dans la tradition japonaise le sabre est plus qu'un symbole philosophique : c'est une arme magique. Il peut-être maléfique ou bénéfique selon la personnalité du forgeron et du propriétaire. Le sabre est comme le prolongement de ceux qui le manient, il s'imprègne mystérieusement des vibrations qui émanent de leur être. Selon la vision l'antique religion shinto, la fabrication d'un sabre est une véritable alchimie où l'harmonie intérieure du forgeron est plus importante que ses capacités techniques. Avant de forger une lame, le maître armurier passait plusieurs jours en méditations variées, puis il se purifiait en procédant à des ablutions d'eau froide. Revêtant des vêtements blancs, il se mettait alors au travail, dans les meilleurs conditions intérieures pour donner naissance à une arme de qualité.
Masamune et Murasama étaient d'habiles armuriers forgerons qui vivaient au début du XIV siècle. Tous les deux forgeaient des sabres d'une très grande qualité. Murasama, au caractère violent, était un personnage taciturne et inquiétant. Il avait la sinistre réputation de forger des lames redoutables qui poussaient leurs propriétaires à de sanglants combats ou qui, parfois, blessaient son porteur. Ces armes eurent très vite la réputation d'être assoiffées de sang et furent tenues pour maléfiques. Par contre Masamune était un forgeron d'une très grande sérénité qui se livrait à un rituel de purification systématiquement pour forger ses lames. Elles sont considérées comme les meilleures du pays. Un homme, qui voulait tester la différence de qualité entre les modes de fabrication des deux armuriers, plaça un sabre de Murasama dans un cours d'eau. Chaque feuille dérivant à la surface, qui touchait la lame, fut coupée en deux. Ensuite, un sabre fabriqué par Masamune fut placé dans le cours d'eau. Les feuilles semblaient éviter la lame. Aucune d'elles ne fut coupé, elles glissaient toutes intactes, le long du tranchant comme si celui-ci voulait les épargner. L'homme rendit son verdict : " La Murasama est terrible, la Masamune est humaine!"

Le destin plus fort que l'homme

Un grand général, du nom de Nobunaga, avait pris la décision d'attaquer l'ennemi, bien que ses troupes fussent largement inférieures en nombre. Lui-même était sûr de vaincre, mais ses hommes, eux, n'y croyaient pas beaucoup. En chemin, Nobunaga s'arrêta devant un sanctuaire Shinto et déclara à ses guerriers : " Je vais me recueillir et demander l'aide des kami. Ensuite, je jetterai une pièce. Si c'est face, nous vaincrons mais si c'est pile nous perdrons. Nous sommes entre les mains du destin."
S'étant recueilli quelques instants, Nobunaga sortit du temple et jeta une pièce. Ce fut face. Le moral des troupes se regonfla à bloc. Les guerriers, fermement convaincus d'être victorieux, combattirent avec une si extraordinaire intrépidité qu'ils gagnèrent rapidement la bataille. Après la victoire, l'aide de camp du général lui dit : " Personne ne peut donc changer le cours du Destin. Cette victoire inespérée en est une nouvelle preuve."
- " Qui sait ?" Répondit Nobunaga en lui montrant une pièce … truquée, qui avait deux côtés face !

Les portes de l'enfer et du paradis

Un samouraï se présenta devant le maître Zen Hakuin et lui demanda :
- " Y a t-il réellement un paradis et un enfer ."
- " Qui es tu ?" demanda le maître
- "Je suis le samouraï …"
- "Toi, un guerrier ! s'exclama Hakuin. Mais regarde-toi. Quel seigneur voudrait t'avoir à son service ? Tu as l'air d'un mendiant."
La colère s'empara du samouraï. Il saisit son sabre et le dégaina. Hakuin poursuivit :
- " Ah bon, tu as même un sabre !? Mais tu es sûrement trop maladroit pour me couper la tête."
Hors de lui, le samouraï leva son sabre, prêt à frapper le maître. A ce moment celui-ci dit :
- " Ici s'ouvrent les portes de l'enfer."
Surpris par la tranquille assurance du moine, le samouraï rengaina et s'inclina.
- " Ici s'ouvrent les portes du paradis. ", lui dit alors le maître.

Trois mouches

Dans une auberge isolée, un samouraï est installé, seul à une table. Malgré trois mouches qui tournent autour de lui, il reste d'un calme surprenant. Trois rônins entrent à leur tour dans l'auberge. Ils remarquent aussitôt avec envie la magnifique paire de sabres que porte l'homme isolé. Sûrs de leur coup, trois contre un, ils s'assoient à une table voisine et mettent tout en œuvre pour provoquer le samouraï. Celui-ci reste imperturbable, comme s'il n'avait même pas remarqué la présence des trois rônins. Loin de se décourager, les rônins se font de plus en plus railleurs. Tout à coup, en trois gestes rapides, le samouraï attrape les trois mouches qui tournaient autour de lui, et ce, avec les baguettes qu'il tenait à la main. Puis calmement, il repose les baguettes, parfaitement indifférent au trouble qu'il venait de provoquer parmi les rônins. En effet, non seulement ceux-ci s'étaient tus, mais pris de panique, ils n'avaient pas tardé à s'enfuir. Ils venaient de comprendre à temps qu'ils s'étaient attaqués à un homme d'une maîtrise redoutable. Plus tard, ils finirent par apprendre, avec effroi, que celui qui les avait si habilement découragés était le fameux Miyamoto Musashi.

Les Sept poèmes de Madaishi

Madaishi

Il y a bien longtemps, dans la Terre du Matin, vivait un homme du nom de Madaishi. Il voyageait de par le monde, et on dit qu'il apportait la paix et la sérénité dans chaque foyer où il se rendait. Sa renommée était grande, bien que son nom soit inconnu de l'empereur. Beaucoup de gens le prenaient pour un kami , un esprit, qui aurait pris la forme d'un moine errant pour aider les hommes. Certains tentaient de le rencontrer, car ils voulaient lui demander une faveur : qui un nouveau boeuf, qui de l'argent, qui un gendre loyal... Mais pour ceux-là, Madaishi semblait aussi insaisissable que le vent dans les saules.

Il disait parfois aux gens que la vie n'était qu'un rêve, et que nous étions endormis. Et il parlait du Grand Eveil, du jour où chacun réussirait à disperser le voile du rêve et à percevoir la réalité.

Un jour, à l'aube, alors que les oiseaux chantaient comme si de leur chant dépendait le lever du soleil, Madaishi s'agenouilla près d'un prunier en fleur, et il prit un pinceau. Pendant qu'Amaterasu-Omikami paraissait dans le ciel du matin, il composa sept poèmes, qu'il coucha doucement comme on couche un enfant qui deviendra un jour un homme honorable, sur du papier de riz. Une brise légère se leva, détachant quelques fleurs de prunier. Lorsque la brise fut tombée, lorsque les pétales touchèrent le sol, Madaishi et les poèmes avaient disparu.

Un dicton de la Terre du Matin dit :

Celui qui connaît un des sept poèmes est béni

Celui qui connaît trois poèmes est illuminé

Celui qui connaît les sept poèmes éclaire le monde

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